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Le comte d'Aubigny, chronique d'une renaissance mordante

Une saga Fantasy "trash comique" en sept tomes, à la recherche d'un éditeur...

Une saga Fantasy "trash comique" en sept tomes, à la recherche d'un éditeur...

Dans son manoir, le comte d’Aubigny, délaissé par sa femme, attend la mort. Vampire maudit, il a tiré un trait sur ses rêves de grandeur et coule des jours sombres avec son fidèle serviteur, le hideux Finono. Ce dernier lui prépare une surprise pour son quarantième anniversaire : il a invité ses anciens compagnons d’aventures. Les retrouvailles sont festives et la joie du comte renaît lorsque son meilleur ami, le seigneur Deguy de Guignat, très rajeuni, le lance sur la piste de Jouvence. Et si la vie recommençait en mieux ? L’audace paye et de succès maladroits en réussites périlleuses, d’Aubigny chamboule l’équilibre du monde et devient la cible de tous les bien lotis menacés par l’ascension fulgurante d’un mort-vivant bien trop pétulant.

Chapitre 1

Quand l’idée s’est envolée

Le comte d’Aubigny, dans son manoir humide et froid, égrainait tristement le chapelet de ses souvenirs. L’ancien aventurier, héritier d’un domaine déserté par les hommes, vivait loin des vicissitudes du monde depuis presque dix ans. Ses journées sans saveur et ses nuits sans sommeil se ressemblaient toutes. Il ne recevait aucune visite et sa femme, qui l’avait depuis longtemps pris en grippe, avait fichu le camp. Sans le dévouement de son fidèle serviteur Finono, il aurait laissé l’amertume le dévorer et la mort l’enterrer dans son cercueil de pierre.

— Maître ! hurla la brave béquille depuis la cuisine. N’est-il pas bientôt date de votre anniversaire ?

Le comte, tapi dans sa chambre, resta muet. Il allait fêter ses quarante ans. Il se leva avec difficulté et regarda par la fenêtre. La végétation avait envahi sa cour. Les rats y pullulaient et nettoyaient les cadavres d’animaux qu’il leur abandonnait après les avoir vidés de leur sang. Depuis le départ de son épouse, il ne pouvait compter que sur lui-même et son homme de confiance pour se restaurer et faire le ménage. C’est dire s’il s’alimentait mal et dépérissait dans une insalubrité permanente. « Quarante ans… pensa-t-il. Je suis le seul vampire à être vieux à quarante ans. » Ce constat amer lui remit en mémoire l’événement tragique de sa vingt-neuvième année. Planteur de crocs encore fébrile, il n’avait pas réussi à contrôler une pulsion et s’était jeté sur une bergère dévote. Maudit depuis cette attaque, il devait se décatir plus vite que ses frères au sang froid. Chaque lever de soleil le faisait vieillir d’un an. Il avait le métabolisme d’un vampire millénaire, un croulant que la mort avait oublié et qui allait bientôt tomber en poussière.

— Que me prépareras-tu pour mon dernier anniversaire ? demanda le comte à son serviteur.

Le vampire avait une boule dans le ventre. Il observait le pieu qui se dressait sous sa fenêtre. Il pensait souvent s’y empaler pour abréger sa déchéance. Il retourna s’asseoir, le pas hésitant et le geste douloureux, tel un pantin de fer aux articulations rouillées.

— Chassez ces mauvaises idées ! répliqua le valet. Votre existence sera longue et je veux mourir avant vous.

Finono ne concevait pas son avenir sans son maître. Qui serait assez bon pour le prendre à son service, un monstre comme lui, bossu et difforme ? Il avait eu la mâchoire broyée par un fléau d’armes gobelin et s’exprimait à l’aide d’un porte-voix planté dans la trachée. Il définissait à lui seul le sens du mot laideur. Dans une cage de la cuisine vivait le seul animal qui n’était pas réservé aux repas du comte : Cricro, un grand corbeau à qui l’on avait cloué le bec, ou plus précisément cerclé le bec avec un clou, car en vieillissant, il avait tendance à l’ouvrir sans cesse et à agacer ses logeurs. L’oiseau avait été offert par le seigneur Deguy de Guignat, fidèle compagnon d’aventure du comte, au cas où ce dernier aurait besoin d’un messager pour quérir de l’aide. Finono avait déjà rédigé une missive qu’il fixa à la patte de l’oiseau. Il préparait une surprise colossale pour l’anniversaire de d’Aubigny, un banquet pour des retrouvailles inoubliables. Dans un élan de générosité, le domestique libéra de son clou le corbeau malheureux qui n’avait pas parlé depuis un an. Après avoir asséné un coup de bec à Finono, il s’envola et croassa une multitude d’insultes ruminées préalablement en silence. Il remercia son geôlier d’un dernier « Va te faire mettre, je ne ferai rien de ce que tu m’as demandé ! » avant de disparaître. Il n’avait pourtant pas le choix de désobéir. Un sortilège l’en empêchait. Il vola jusqu’au domaine de son maître et retrouva, quelque peu changé, le seigneur Deguy de Guignat.

Préparatifs

Finono avait demandé aux invités d’arriver juste après la nouvelle lune, période durant laquelle le comte désertait son manoir pour une chasse sur ses terres. Il n’allait pas bien loin, arpentait toujours les mêmes sentiers, mais cette distraction avivait cette petite flamme qui le maintenait en vie.

— Si je ne reviens pas, dit le comte à Finono, je te laisse tout. Si ma femme refait surface, dis-lui que j’ai retrouvé ma jeunesse avec une danseuse du cabaret des Chattes sauvages !

Il radotait les mêmes âneries chaque fois qu’il s’en allait. Le vampire disparut dans la pénombre éternelle de son domaine avec une canne qui valait de l’or. Comme la force et l’endurance lui manquaient, il s’aidait de son bâton de puissance pour marcher et tuer tout ce qui volait, courait ou rampait. À l’occasion, il surveillait si un indigent ne s’était pas installé sur ses terres sans son autorisation, et si sa femme, qu’il n’avait pas revue depuis six mois, n’avait pas réinvesti la ferme d’élevage. Les animaux qui y coulaient des jours paisibles étaient épargnés par son appétit, car il craignait que sa douce, tellement amoureuse de ces êtres à quatre et deux pattes, n’ait fini par leur ressembler. Il s’en serait voulu de la dévorer comme du vulgaire bétail.

Au manoir, Finono préparait la salle des fêtes. Il soulevait tellement de poussière qu’il obstrua son cornet à voix et manqua de s’étouffer lorsqu’il gonfla ses poumons pour pousser une chansonnette de son cru. Il cracha une pelote de poussière assassine et se concentra. Ses lèvres demeuraient immobiles et pourtant d’improbables vocalises envahirent chaque pièce du château. Sa gorge se contractait, son cornet vibrait. Rapidement, la vieille bâtisse à l’atmosphère ternie par le désespoir fut transformée en havre de félicité.

« Des amours nouveaux naîtront,

Que le temps n’altérera pas.

Dans l’éternité, le comte ripaillera,

Et avec tous ses compagnons,

Il écoutera mes belles chansons.

Car Finono sera,

Partout où d’Aubigny ira,

Asseoir sa sagesse et épandre son aura. »

Le comte entama sa chasse en paralysant une pie à l’aide d’un rayon de givre. Il but ses quelques centilitres de sang pour se mettre en jambe. Il croisa un chien plus maigre que lui et n’eut aucune pitié. La bête blessée par un projectile magique mourut enchevêtrée dans un buisson d’aubépines. Il la vida. Un éclair eut raison d’une colonie de chats qu’il suça jusqu’au dernier. Il tenta ensuite de se métamorphoser en loup, mais l’effort fut vain. Malgré des souffrances toujours plus vives à cause de son arthrite, il gardait espoir qu’un jour, il pourrait courir à quatre pattes et voler à deux ailes. Il claudiqua jusqu’à la ferme d’élevage et attela deux boeufs maigrelets qui devaient l’accompagner dans son pèlerinage alimentaire. Les bestiaux tiraient une grande cage sur roues dans laquelle chaque animal capturé était enfermé. Le butin, convoyé jusqu’au château, devait permettre au comte de tenir un mois.

Finono avait transformé le manoir d’outre-tombe en palais princier. Les tapisseries, les peintures, les carreaux des fenêtres avaient été dépoussiérés. L’argenterie scintillait. De la lumière jaillissait d’un lustre d’acier séculaire et de candélabres en bronze posés sur la grande table de réception. Tout était prêt. Il ne manquait que les invités et la becquetance. Le valet, épuisé, descendit à la cave pour s’offrir sa bouteille de liqueur quotidienne. La réserve était bien pourvue. Plus de cent litres d’alcool de fruits et de légumes étaient à la disposition du laideron. Pendant qu’il s’évadait dans la douceur d’un rêve érotique, une troupe allait d’un pas décidé et chargée de victuailles sur les chemins impraticables du territoire du comte. La bonne humeur les accompagnait. Ils avaient marché plusieurs jours pour répondre à l’invitation du serviteur attentionné. Finono fut réveillé en sursaut. Il pleura de joie en ouvrant la porte. Les compagnons étaient là.

Surprise et stupéfaction

La cage était à moitié pleine. Trois chiens, deux renards, une vingtaine de lapins et quelques piafs glacés ou électrisés sommeillaient autour d’un ours brun au pelage carbonisé. Le comte l’avait pris en chasse, mais n’ayant pas pu l’immobiliser avec les sorts habituels, il s’était aidé d’une boule de feu. Elle avait atterri trop près du plantigrade, le tuant presque. Les deux bœufs, après plusieurs jours de labeur, étaient éreintés et furent autant surpris que leur maître de voir le manoir si éclairé. D’Aubigny comprit vite qu’une surprise l’attendait. « Serait-ce ma femme ? » se demanda-t-il. Il espérait plutôt ses amis, même si le retour de sa femme ne lui aurait pas déplu. Des voix s’élevaient, plus fortes les unes que les autres. Il n’eut plus de doute. Lorsqu’il ouvrit la porte, le silence se fit. Onze hommes et un enfant entouraient Finono, rond comme un coing et ivre de bonheur. Le comte les reconnut immédiatement, sauf le gosse. Il les embrassa tous, anciens compagnons d’aventures et de beuveries. Il laissa l’enfant de côté, jetant de temps en temps un coup d’œil curieux sur celui qui ne le lâchait pas des yeux. Ses amis lui contèrent leurs bonheurs et turent leurs malheurs, toujours plus nombreux en vieillissant. Ils furent surpris de voir leur hôte en si bonne forme.

— Cet état de grâce n’est que de courte durée, leur expliqua D’Aubigny. Je viens de me nourrir. Mais vous verrez demain, quand je décéderai.

Ils le charrièrent pour le ramener à l’esprit de la fête. Ils évoquèrent avec malice sa mégalomanie d’antan. Ce fut autant de coups de couteau plantés dans des plaies béantes. Un croassement singulier, mêlé d’injures, créa l’étincelle dans l’esprit cafardeux du vampire. Il se tourna vers l’enfant sur qui l’oiseau s’était posé.

— Deguy de Guignat ! s’exclama d’Aubigny.

Le visage du vampire s’illumina. Il venait de reconnaître son vieil ami. Il avait rajeuni de plusieurs décennies.

— Que t’est-il arrivé ? C’est une bénédiction, continua-t-il.

Le jeune seigneur n’avait pas l’air de partager son avis.

— Une bénédiction ! s’esclaffa Cricro. Il a la taille, la force, la voix, l’aura et la queue d’un enfant de dix ans !

Tous se mirent à rire des malheurs de Deguy de Guignat. Ce dernier frappa sur la table avec son petit poing et tous se turent. Malgré son mètre trente, il n’avait rien perdu de son autorité. La salle fut plongée dans un silence pesant. Seuls les ronflements de Finono répondaient aux interrogations légitimes du comte.

— Trous du cul ! lança Cricro. Vous êtes tous des trous du cul !

Deguy de Guignat le fit dégager d’un revers de la main.

— La sagesse m’a manqué, dit-il avec sa voix de moutard.

— Tu as encore avalé une potion sans regarder l’étiquette ? l’interrogea le vampire.

— Une potion… Si seulement, répondit-il. J’ai bu jusqu’à m’en faire péter l’estomac. Heureusement, il était moins gros que celui de ce diable de Poppy.

— C’est vrai, il n’est pas là, constata le comte.

— On a trouvé le moyen de pénétrer Jouvence. J’ai rajeuni de trente ans. Lui est scotché aux mamelles d’une nourrice, prisonnier de ses langes et condamné à gazouiller pour tailler le bout de gras. Et dire qu’il parlait dix-sept langues…

— Bien fait pour vos gueules, bande de cons ! conclut Cricro.

Une aventure énigmatique

Le dîner festif débuta de bonne heure. L’oiseau, qui avait abusé des graines épicées offertes en apéritifs, voletait dans la cour avec l’impression qu’une coulée de lave dévalait ses intestins et enflammait son croupion. La douleur lui clouait le bec et libérait les invités de ses commentaires désobligeants. Lik et Zel servaient la soupe à l’oseille et aux champignons qu’ils avaient mitonnée ensemble.

— Ça va encore sentir les pieds, lança Mas.

— Au moins, on sait d’où viennent les champignons, ajouta Kot.

Les deux amis inséparables avaient entamé les hostilités. Les blagues de mauvais goût fusèrent. D’Aubigny et Deguy de Guignat se tenaient à l’écart. Le comte boudait.

— Pourquoi vous y êtes allés sans moi ? demanda-t-il à l’enfant.

— Les messages de Finono te disaient au plus mal. Nous voulions te faire une surprise et te ramener de l’eau, mais ça a foiré. À la sortie de la grotte, on s’est fait dépouiller par un manant qui avait déjà un pied dans la fosse. Contre un enfant et un bébé, il n’a pas eu beaucoup à lutter. C’était son jour de chance. Ça m’a quand même coûté mes deux joyaux de famille.

Un dragon s’était approprié la source depuis un demi-siècle et rançonnait les pèlerins. Il fallait être très riche pour qu’il cède le passage. Pour des raisons diplomatiques, l’Ordre, à qui appartenait Jouvence, le laissait en paix.

— Cette attention me touche, dit le comte, mais tu n’aurais pas dû. Tu as perdu une fortune.

Riko, Mas, Kot, Rob et Tchus entonnèrent un chant paillard. Les mots les plus crus du répertoire barbare figuraient dans les paroles. « Montre-nous ta chatte, offre-nous ton cul, libère-nous le drain, sans te servir de tes mains » ponctuait chaque couplet. Les onze compagnons se balançaient avec entrain sur un banc. Finono voulait être de la partie, mais la tête lui tournait. Il avait le mal de mer. Il s’allongea sur un canapé miteux près de son maître.

— Si j’avais été là, ça se serait passé différemment, déclara le vampire sur le ton du reproche.

— Soit ! Retournons-y ! proposa Deguy de Guignat.

Le comte était songeur.

— Le charme de la fontaine aura-t-il un effet sur ma personne ? demanda-t-il. Un vampire aussi racé et maudit que moi.

— Tu hésites ? l’interrogea l’enfant pour le provoquer. Tu as peur ?

L’aparté du vampire et de son ami contrariait les compagnons.

— Deguy ! Viens raconter à tout le monde comment je me suis bien occupé de toi et de Poppy ! lança Dar pour qu’ils reviennent à table.

Les invités se servaient de la viande d’ours et du chou que Machi avait fait revenir avec du lard et des pommes. D’Aubigny demeurait perplexe. Riko entonna une autre chanson.

— Qui par devant, qui par derrière, pour fourrer sa queue dans la rombière ? hurlait le mastodonte avec sa grosse voix.

« Moi » lancèrent tous ses amis en chœur. Finono, l’esprit embrumé, bredouillait lui aussi sa réponse qui restait engluée dans un relent de bile.

— Ce serait une renaissance, dit d’Aubigny. Retrouver ma jeunesse…

— Qui vivra saura ! répondit le gamin pour balayer ses inquiétudes.

— Qui au-dessus, qui en dessous, pour châtier cette goudou ? poursuivit Riko.

« Moi » répondirent les convives tous ensemble. Le vampire se redressa. Il avait retrouvé l’envie.

— Qui est allongé, le cul relevé, pour se faire démonter ? continua Riko.

Il n’y eut aucune réponse sauf celle de Finono qui répondait machinalement. Tous se moquèrent de lui. Le laideron rit lui aussi de s’être laissé prendre.

— Partons sur-le-champ ! lança le comte.

L’auditoire se tut. Deguy de Guignat, au centre de l’attention, appréciait l’instant. Il se servit un verre d’alcool de betterave et le vida d’un trait.

— Je suis indécis, répliqua le môme.

— Si c’est une question d’argent, je vendrai mon manoir, affirma le vampire. J’y laisserai mon bâton.

— Il y a un autre moyen.

Le gamin se servit de la soupe. Il souffla longtemps pour la refroidir. Il prenait son temps pour créer l’attente et susciter l’intérêt.

— Eh bien, parle ! insista d’Aubigny.

— J’ai un plan, dit l’enfant. Il est sans faille. J’ai pensé à tout, mais…

— Quoi ?

— Il faudra circuler sur les terres de l’Ordre pour rejoindre Clairebois. La surveillance et accrue et les chasseurs de primes nombreux. Au regard de ta condition de vampire affaibli, je crains que ce ne soit perdu d’avance.

— Qu’insinues-tu, morveux ? s’emporta d’Aubigny dans un excès d’orgueil.

— Que tu n’es plus capable de te battre, lança Rob le beau parleur.

— Que tu es trop faible, même pour un voyage aussi court, dit Tiane.

— L’aventure, c’est du passé, conclut Deuf.

Le vampire devait regarder la réalité en face. Tous disaient vrai.

— Vous avez raison, admit-il. Ce déplacement est impossible.

D’Aubigny était serein, mais il leur en voulait de ne pas l’encourager à braver l’impossible. Ses amis portaient sur lui un regard plein de pitié. Il était vieux et maudit, mais ses rêves d’autrefois ne s’étaient pas envolés. Il pouvait choisir de périr en chemin plutôt que d’attendre insupportablement la mort dans son cercueil de pierre.

— Maître ! déclara Finono dans un demi-sommeil. Partons ! Je vous accompagnerai.

Il n’en fallut pas davantage pour convaincre le vampire.

— La tâche s’annonce difficile pour le vieux, déclara Tchus le faiseur d’histoires. Je parie qu’il n’y arrivera pas, mais j’admire son courage.

— Moi, je crois en lui, dit Dar.

— Moi aussi, déclara Machi. Il est courageux et je dois l’être aussi. J’ai…

Dar, qui était assis à côté de lui, le coupa. Machi avait une déclaration à faire, mais il se ravisa. Le corbeau fit son entrée à cet instant.

— Qu’est-ce qui se passe dans ce taudis ? demanda-t-il avec arrogance. Le vieux a claqué ? On pleure sa dépouille ?

— Tu crèveras avant moi, répliqua l’intéressé. Je pars retrouver ma jeunesse. La vie m’offre une deuxième chance, je ne la laisserai pas passer.

Tous l’applaudirent.

— Tu sais que le Grand prêtre de Clairebois accorde un vœu à celui qui livre en vie un suppôt du mal, l’informa Deguy de Guignat. Pour toi, au regard de ton rang, je pourrai demander… l’impossible.

La pause fut encore très longue. L’enfant se servit copieusement du renard.

— Continue donc ! insista le comte. Tu m’intéresses.

— Je n’en dirai pas plus. Fais-moi confiance !

— J’ai compris ton plan. Tu veux m’offrir en pâture à ces extrémistes habillées en robe, mais pour quoi faire ?

— J’ai pensé à tout, mais trop t’en dire pourrait te perdre. Sois mon prisonnier et nous arriverons entiers à Jouvence !

— Garde tes secrets, l’enfant, rétorqua le vampire, mais partons dès maintenant ! Mes amis, si je ne reviens pas, je vous cède tout. Finono, mon fidèle serviteur, nous mourrons ensemble si tel est mon destin.

Riko réussit à le convaincre de ne pas les quitter immédiatement. Il l’invita à manger, à boire et à rire avec eux. Le vampire reporta son départ aux premières lueurs de l’aube.

— Trop tarder serait idiot, dit-il. Du sang frais coule dans mes veines. J’ai la forme, ça ne durera pas.

Des murmures disaient Deguy de Guignat inconscient. Entraîner le comte dans cette aventure était une folie. D’Aubigny était mal en point et ses compagnons espéraient que cette virée ne lui soit pas fatale et qu’elle l’égaye un peu avant que sa malédiction ne le consume entièrement. Ils ne se faisaient pas d’illusion sur son avenir. Machi avait préparé un pain aux noix et aux figues pour le dessert. Plus personne n’avait faim, mais tous le goûtèrent pour finir les bouteilles entamées. Ils évoquèrent ensuite leurs péripéties passées et les exploits sexuels et guerriers de Deguy de Guignat qui jubilait d’être au centre de l’attention.

Après le repas, tous allèrent se coucher. L’époque où ils festoyaient toute la nuit était révolue. Finono n’avait pas sommeil. Cette expédition l’enthousiasmait. Il prépara son paquetage avec un heureux pressentiment. Il ne se voyait pas mourir. Il s’imaginait au bras d’une belle femme. Il était célèbre et se produisait dans les plus prestigieux palais.

— Pauvre con ! lança Cricro qui était tordu de rire. Parmi les graines épicées dont on l’avait gavé autrefois pour le torturer, et dont il raffolait depuis, une lui avait donné la capacité de lire dans les pensées. Momentané chez l’homme, ce pouvoir était devenu permanent chez lui. Il riait des illusions débiles de Finono, mais plus encore du plan grotesque de son maître pour sauver le comte.


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